Tagg. Entrepôt désaffecté. Amiens
La rue est un révélateur sensible de troubles et de bonheurs. Elle nous dit tout de ses symptômes. Faut-il encore les voir dans l’évidence de son miroir. Les rues et ses murs sont mes pages d’écriture, mon alphabet, ma palette, mon terrain de jeux, les allées imaginaires de mon musée, de sa réserve. C’est une seconde peau, un tamis de symboles ou l’or de mes maux s’emprisonnent et façonnent l’expression de mon art. Là et pas ailleurs j’existe. Les tags, les raclures, les mots en rage d’existence égratignent ma vue de fautes fraternelles. Ils se chevauchent, naissent et disparaissent dans les aléas du temps. Les saisir. Dans la nervosité imprécise de ces apostrophes j’entrevois des souffrances derrière tant de flops et de haine. J’habite un quartier ruiné par la mort de l’industrialisation textile. Aujourd’hui Il maille la précarité. Les ouvriers sont passés avec armes et bagages sans Pen chez Marine. L’onde de choc. La jeunesse y boit l’amer de la vie en héroïne. Sacrifiée. Fin de l’emploi, elle bouscule les lois, fait sa loi. Saccagée, elle s’exprime comme elle le peut dans la jungle policée des codes et des idéologies. Son langage ignore l’ordre bourgeois. Il fabrique du désordre et il se mord la langue et la queue. Il tourne en rond. Crame ta banque. Mister chite. Nike la back. Fisse de pute. Polet on vous baize, polet la came te donne des ailes et au jugement dernier ce scribe calligraphe des jours sombres bombe « le dernier juge que j’ai vu avait plus de vice que le dealer de morue » Parait-il que cette phrase est extraite d’une chanson de Jöe Starr mais au lieu d’écrire dans ma rue, cet apôtre de la chair à transcrit le mot morue. L’Homme est complexe. A chacun ses vérités. Je ne voulais pas utiliser leur graphie telle quel dans le travail que je projetais de faire avec l’empathie de leurs cris. Le choix de mettre en lumière ces haïkus urbains en mode typographique m’est venu tout tardivement. J’ignore ou ils me conduisent. Ce que je crois c’est qu’ils m’incitent à regarder me regardant regarder médusé ces signes idéographiques. Pourquoi le faire ? Peut-être pour chercher dans le champ de mes incertitudes des parcelles de réponses face au chaos humain.
Le quai des songes. Amiens 2012