L’origine de cette série à pris corps à la demande des Editions Tipazza pour illustrer le texte de Tristan Cabral La belle et la fête dans la collection Métive. Il mémorait le quarantième anniversaire de Mai 68. Le propos de cet écrit s’inspire d’une photographie d’une jeune femme Caroline B. qui allait vers la mer sur les épaule d’un inconnu avec un drapeau noir le 13 mai 68. Cette célèbre image est devenue l’icône de ce soulèvement. Je me suis amusé à rebondir sur mes souvenirs.
La fièvre de consommation est une fièvre d’obéissance à un ordre non énoncé.
Pier Paolo PASOLINI, Écrits corsaires
J’ai traversé cette crise en acteur anonyme, au cœur de la capitale, parmi tous les anonymes célestes et illuminés de ce mouvement. J’ai bu l’air fou de ce temps les yeux pleins d’innocence. Pendu à ma bouche gesticulait le mot amour. Mon corps de jeune homme me faisait des misères, Il craquait de désirs. Je pensais que l’art pouvait sauver le monde. La vie était belle et fragile. Tout semblait possible au bord de la nuit. La réalité sociale et politique, au cul de cette insouciance, et l’écho des maux dits de ce Mai, bâtissaient dans l’opportunité des confusions, les règles drastiques d’un futur. Quarante années plus tard l’idéologie de cette révolte a pris forme. Ses zélateurs — renégats — issus de la rhétorique de mai 1968, nous formatent, jour après jour aux besoins des utopies mortifères de la société libérale. Boum ! Le monde est rond. C’est l’éclosion de la mondialisation, la fabrique des frustrations. La culture s’affiche en mode marchandise, le temps privé est cannibalisé, l’histoire recomposée, la mémoire occultée. Une humanité manipulée, domestiquée ou le faux prend le pas sur le vrai. Un cinémascope couleur, écran plat, son digital surround ou l’humain s’estompe dans l’image, où les images font office d’autorité, où le corps et l’amour s’étreignent et s’éteignent sur le papier glacé. Pour Gilles Lipovetsky « cette société hédoniste n’engendre qu’en surface la tolérance et l’indulgence, en réalité, jamais l’anxiété, l’incertitude, la frustration n’ont connu une telle ampleur » écrit-il dans l’ère du vide. (1 983). Consommer pour vivre en paix demeure pour cette société anxiogène le médicament miracle, sa réussite, son prozac. Le monde a bougé. Avec ces icônes je ne voulais pas parodier le langage visuel de mai 1968. Je m’en fous de ce retour esthétique. Les publicitaires, les magasins Leclerc le font si bien dans l’art de la récupération. La lutte pour le pouvoir d’achat, clament-ils, sous forme de réclame est le credo du profit. je canalise seulement ma violence, mon désespoir et mes doutes dans la dérision. J’essaie de ne pas être dupe des vérités dans lesquelles m’inhibe ce monde d’hyperconsommation et de démesures. Rendre intelligible le réel par l’écriture des émotions est la part du colibri de l’artiste. Ne plus croire aux sauveurs, ces fossoyeurs de l’histoire. Ce temps est révolu. Faim de révolution. Exit. Nous avons tant de choses à nous dire, ne gâchons pas ce plaisir. Lookace BAMBER. le Quai des Songes. Juin 2008