J’aime écrire. J’aime les mots.
J’aime les circonvolutions des traits qui dessinent les lettres et s’essoufflent dans la ouate de leurs symphonies intimes. Je me sens proche de l’oblique de ces glissements. De ces entre-deux.
Ils me procurent dans l’instant une vagabonde jouissance, une pesanteur légère et bohémienne.
Ils me caressent d’un chaste vent d’été. Je chasse les mots. Je traque la phrase.
Je poursuis leurs dessins et leurs desseins en leur supputant d’aléatoires destins.
J’enregistre dans l’entonnoir des encriers ouverts aux lueurs des solstices la trace et les biffures de leurs musiques. Je les cherche. Je les désire. Je pétris leurs matières et leurs textures dans l’alambic des alcools grammaticaux.
J’arpente les rues des territoires obscurs occupés de rêves mélancoliques et d’espoirs tronqués.
L’écrit de ma parole trouve sa raison dans les profondeurs palimpsestes des surfaces raturées,
surchargées de mots estompés et effacés entre la rage et l’impuissance des dessins aux allures foudroyées. Rien ne me semble lisse et doux dans le cul de basse-fosse de ce monde erratique.
De Berlin à Jérusalem les murs se lamentent, s’opposent en injures et se guerroient.
Cynique est le monde.
Le paysage urbain est un livre de souffrance, de prières et de meurtres.
Les mots d’amour trouvent rarement leur place sur les panthéons achélèmes des périphériques citées Ozone assiégés par les pauvretés.
Ce ne sont que des cris et des larmes et des mots de haine qui s’ébranlent sur la peau osseuse des édifices : Nike la bac, suce ma bite.
Ma carte mémoire est pleine de cette grammaire hachée, à chier, inachevée. Je regarde ce désordre et j’éponge la vulgarité de sa miséricordieuse poésie.
Mon carnet de notes, ma plume (l’appareil photographique) est ma boîte à mémoire, ma boîte noire. J’enregistre l’éphémère, le fragile et le rien d’Amiens à Moscou, de Moscou à Hong Kong, d’Hong Kong à Bangkok de Bangkok à New York, de Cannes à Téhéran en chevauchant les déserts, les banlieues, l’Afrique joyeuse et crapuleuse et le Moyen Orient guerrier.
C’est dans les dérives de mes voyages que je puise les substrats souterrains de mon vocabulaire : des images, des signes et des traits faits par la main d’hommes et de femmes tracés à la hâte dans des endroits défaits.
Ils marquent à la bombe leurs douleurs et ils l’écrivent : squatte ta ville, panik ton maire.
Parfois surgit le mot révolution, sans conviction.
Au-delà des cris et des peurs, au-delà de leur laideur ou de leur beauté qu’ils expriment, au-delà de l’inconscience des jugements, leur graphie, telle quelle, m’interpelle.
C’est de ce trait qu’il est question, de sa résonnance, de sa parole, de ce qu’il me révèle comme désirs d’entreprendre dans le temps de l’urgence d’une réponse.
Ce trait, ces images, ces signes, ces écritures locataires de ces lieux différents se trafiquent avec les signes et les symboles de ma propre écriture.
Ils constituent de manière intuitive les éléments d’une matrice aux caprices hasardeux.
C’est eux qui me font et me défont de leurs aléatoires combinaisons. Mon langage me construit et je me construis au gré de ses équations.
C’est le laboratoire de mes rêves.