Je ne sais pas pourquoi je bâtis et déconstruis des croix. Est-ce une résurgence de mon enfance qui s’exprime? Est-ce le souvenir de mes passages à l’hôpital public ou je fus soigné par des religieuses au crucifix maudit? Est-ce le souvenir des processions dans ma Bretagne natale et en particulier celui de la grande Troménie à Locronan, hérissé de bannières et de chasubles brodées? Est-ce le rituel des messes, de ma communion, des rituels des enterrements familiaux,
ou l’empreinte de mes vagabondages dans la diversité des croix peuplant les cimetières du Monde? Est-ce le bruit des guerres et des conflits sociaux? Est-ce tout simplement les réminescences de ma pré-adolescence lors de ma rencontre à Quimper avec le peintre et le sculpteur d’art sacré Jean Migan ? Je n’en sais foutre rien.
L’athée que je suis est néanmoins contaminé par les strates de ce passé révolu.
J’aime la simplicité du dessin de la croix au-delà de sa symbolique religieuse, ésotérique ou politique. J’aime la pureté de sa construction. Sa force.
Une verticale et une horizontale pour tout bagage. C’est ma cour de récréation. Un jeu. Les croix nourrissent et remplissent mes pages d’écran de leur plasticité. C’est un plus, un signe, la sonorité d’un mot. Croix.
Je les additionne et je les soustrais par plaisir. Je les façonne entre deux ouvrages, entre deux voyages. Les croix, c’est le jeu de mes gammes, le creux de mes rêveries, le début du jour. Avec elles, viennent la légèreté, la lumière, l’apesanteur, un son, l’abandon et le doute à la fin du conte. De la croix, je vis ma Liberté. Je fais et défais dans l’incroyance du profane ce signe venu de la nuit des temps.
J’attends d’elles la surprise, l’accident, le carambolage des combinaisons hasardeuses de leurs intrigues picturales.
Les croix sont mes toccatas pour accéder à d’autres fugues.
Lookace Bamber, le quai des songes. Amiens 2015